Sombre mémoire // 2010
Je suis cette bête immonde qui menace le globe Je suis le soleil et les nuages, le gris de l’hécatombe, les bâtiments en ruine, le léger ruissèlement devant vos portes Je suis la terre, les arbres, les racines et les feuilles
Je suis, nous sommes de la race des singes, un chimpanzé trait pour trait Je suis le lâche, la honte, la trahison Je suis le ciel décapitant les têtes pensantes Je suis une vieille porte en bois où il fut inscrit à la craie : Ne sois pas libre! Je suis le fossile, le marteau, la croix gammée, les cinquante petites étoiles blanches Je suis qu’un étranger en ces terres Je suis l’ange et le démon qui se prosternent sur les épaules de mes semblables
Je suis la mauvaise nouvelle Je suis un triste pion, l’enfant roi, l’enfant soldat Je suis un amas de bois, un amas de ferraille Je suis le pauvre, le paysan Je suis une seule et même cellule Je suis l’être aimé, l’être haï Je suis le Khmer Rouge, le sniper, celui même qui toucha votre fils en plein cœur Je suis l’Arche de Noé Je suis les temples d’Angkor Vat, les 216 visages, je suis la fierté de mon peuple Je suis la particule élémentaire Je suis le bambou qui perfore l’épiderme Je suis l’univers, le néant, l’immensité, la nébuleuse et enfin le Big Bang Je suis aussi ton fils…et je suis comme vous
Je suis Phnom Penh la nuit Je suis les génocides Je suis la violence, la cupidité, la cruauté de d’Homme Je suis une tour made in Taïwan Je suis le pain d’épice ou la pain perdu de votre enfance Je suis la patrie et la mort Je suis le banc qui a accueilli ces bourreaux Je suis un petit pays enclavé
Je suis une canne à pêche, un filet à poisson, une cabane de pêcheurs, un hameçon, le crabe qui se fait prendre au piège. Je suis 10, je suis 100 puis prés de 2 millions Je suis mort né, je suis né mort Je suis Guernica de Picasso, Figure avec viande de Bacon, le radeau de la méduse de Géricault, Untilted de Jean Michel Basquiat
Je suis la sous tasse à café Je suis un gout acidulé Je suis un prisonnier à titre expérimental Je suis sans tabou Je suis un cent vingt cinquième de seconde, un mauvais cliché Je suis un fils de pute Je suis un trou béant, stigmate des bombardements Je suis ta mauvaise haleine Je suis nu et victime Je suis un rêve comme dans Imagine
Je suis ta dépendance, l’indépendance Je suis la lutte des classes Je suis la colombe…porte ce symbole de paix dans vos foyers Je suis l’homo-sapiens Je suis celui qui a greffé au système auditif des coussinets qui portent la lente et la mystique mélodie Soy el réquiem de la muerte Je suis ta mémoire sélective Je suis ceux et celles qui veulent oublier, ceux et celles qui ne veulent plus y penser Je suis la nouvelle génération nourrit à Fashion TV, MTV qui brassent de la merde et vous font rêver à un avenir qui ne vous appartiendra jamais
Je suis l’odeur de son père dans son lit de mort Je suis l’odeur de cette mort Je suis vos ovaires, le spermatozoïde qui y parviendra, la cellule qui porte la vie Je suis celui qui ne dort plus, l’insomniaque qui tourne en rond nuit après nuit Je suis un mauvais réveil Je suis l’An 0, le début et l’ancien du nouveau millénaire Je suis nos propres peurs et celles là même qui nous gouvernent Je suis la violence des mots qui transmettent votre colère Je suis ceux qu’immolent les livres, les œuvres d’art, les intellectuels Je suis ici de ceux et celles qui ont appliqué l’utopie communiste avec une obstination et un radicalisme que même celle des soviétiques et des maoïstes n’a pas infligé à leur peuple Je suis les barbelés et les couloirs du S-21 Je suis un compte à rebours, une boussole qui a perdu le nord Je suis la fin d’un livre de Marguerite Duras
Je suis hier, aujourd’hui et demain Je suis la mélancolie, la nostalgie Je suis la moiteur des climats tropicaux. Je suis les stigmates et les traces du passé… Je suis cette sombre mémoire
I am that foul beast that threatens the globe I am the sun and the clouds, the grey of massacre, the ruined buildings, the gentle flow I am the earth, the trees, roots and the leaves
I am, we are derived from monkeys, a chimpanzee through and through I am laziness, shame, betrayal I am the sky cutting through the thinking heads I am an old wooden door with ‘do not be free!’ scrawled in chalk I am the fossil, the hammer, the swastika, the fifty tiny white stars I am a foreigner in these lands I am the angel and the devil who prostrate themselves upon the shoulders of people like me
I am the bad news I am a pathetic pawn, the child-king, the child soldier I am a heap of wood, a heap of iron I am the pauper, the peasant I am a one an only cell I am loved, hated I am the Khmer Rouge, the sniper, the very one who hit your son straight through the heart I am Noah’s Ark I am the temples of Angkor Wat, the 216 faces, I am the pride of my people I am the elementary particle I am the bamboo, which pierces the skin I am the universe, the nothingness, the nebula and finally the Big Bang I am also your son… and I am like you
I am Phnom Penh by night I am genocide I am violence, greed, man’s cruelty I am the made in Taiwan tower I am the honey loaf or French toast of your childhood I am the homeland and death I am the bench, which welcomed these executioners I am a small country
I am a fishing rod, a fish fillet, a fisherman’s hut, a fishhook, the crab caught in a trap I am 10, I am 100 then nearly 2 million… I died born, I was born dead I am Picasso’s ‘Guernica’, Bacon’s ‘Figure with meat’, Géricault’s jellyfish raft, Jean Michel Basquiat’s ‘Untitled’
I am the coffee saucer I am a sour taste I am an experimental prisoner I have no taboos I am a one hundred and twenty fifth of a second, a bad negative! I am the son of a whore I am a gaping hole, the stigmata of bombing I am your blood because… for centuries and centuries… I am your bad breath I am naked and a victim I am a dream like in Imagine
I am your dependence, independence I am the class struggle I am the dove…carrying the symbol of peace in your homes I am Homo sapiens I am the one who grafted ear buds onto the auditory system playing the slow and mystical melody Soy el réquiem de la muerte I am your selective memory I am those who want to forget, those who don’t want to think about it any more I am the new generation fed on Fashion TV and MTV that brew up shit and make you dream of a future you’ll never own
I am the smell of his father on his deathbed I am the smell of this death I am your ovaries, the sperm they’ll get, the cell, which brings life I am the one who no longer sleeps, the insomniac who tosses around night after night I am a bad awakening I am the Year One, the old one of the new millennium I am the violence of the words that express your anger I am those who immolate books, works of art, intellectuals I am here because of those who so obstinately and radically applied a communist utopia that even the Soviets and Maoists did not inflict on their people I am the barbed wire and corridors of S-21 I am countdown, a compass that can’t find north I am the end of a Marguerite Duras novel
I am yesterday, today and tomorrow I am sadness, nostalgia I am the humidity of the Tropics I am the marks and signs of the past I am…this dark memory…